La ville de Melbourne est encore une enfant sur l’échelle du temps des cités de l’Ancien Continent. Elle a été fondée en 1835. Rendez-vous compte, en 1835, Alexis de Tocqueville sortait son ouvrage De la démocratie en Amérique, analyse politique du système américain suite à son voyage entrepris quelques années auparavant. En 1835, Honoré de Balzac marchait dans les rues apaisées de Paris. Ces rues qui avaient connues les barricades de Juillet 1830 et à la suite desquelles la Monarchie était restaurée. Au même moment, seule une colonie indigène vivait sur cette vaste plaine de la baie de Port Philip.
En terra incognita ou presque (1800 – 1840)
Des allers et retours
Des expéditions s’étaient aventurées dans les parages avant 1835. En 1797 par exemple, Georges Bass avait découvert le détroit séparant la baie de Melbourne et la Tasmanie. Ce même détroit qui se nomme aujourd’hui en toute logique : le détroit de Bass.
Dès 1802, Murray entra dans la baie de Port Philip suivi de peu par Flinders.
En 1803, le gouverneur de la colonie de la Nouvelle-Galles du Sud, Philip Gidley King a envoyé le colonel David Collins et 300 bagnards afin d’établir une colonie à Port Philip. Cet ordre avait pour principal effet de contrer une éventuelle arrivée des troupes françaises. Mais en raison du manque d’eau potable, ils durent rebrousser chemin en Tasmanie en 1804. Cette mésaventure aura finalement causé la fondation de la ville d’Hobart. Citons le fameux John Pascoe Fawkler parmi le groupe de bagnards. Nous retrouverons cette figure emblématique parmi les fondateurs de la ville de Melbourne.
Et Batman fonda son Gotham
Il fallut attendre 1835 et un personnage clé, John Batman, pour voir un soubresaut dans la jeune histoire de la baie de Port Philip.

John Batman, jeune fermier ambitieux et ayant réussi dans son entreprise située au nord de la Tasmanie, a décidé en 1835 de traverser le détroit de Bass pour étendre sa capacité de pâturage. Il explora cette vaste zone et se présenta le 6 juin 1835 comme un homme d’affaires appartenant à la Port Philip Association auprès des aborigènes. Il signa le traité de Batman et récupérait ainsi plus de 2400km² de terres dans la région côtière de Melbourne et de Geelong. Il y déclarait deux jours plus tard que « ce sera l’emplacement d’un village« . Acte fondateur de Melbourne.
Ce qui est intéressant dans l’élaboration de Melbourne c’est qu’elle a été opérée par des civils contre l’avis des autorités royales et qu’il aura fallu une seule journée à Batman pour chasser les Kulin, communauté aborigène vieille de 40 000 ans en ces terres. Cette communauté resta quelques années sur ses terres mais furent très rapidement chassées voire disséminés. L’Homme blanc est un cadeau.
Pourquoi Melbourne ? Tout simplement car les terres étaient pleines de ressources : pêche, chasse et cueillettes. D’autre part ses prairies fertiles et son eau potable ont permis à l’agriculture de se développer rapidement et durablement.
Deux hommes pour un même territoire
Alors que Batman retourna en Tasmanie, son traité sous le coude et ses projets plein la tête, Fakwner (le petit bagnard de l’expédition de 1803, souvenez-vous) appareillait son navire pour débarquer à Melbourne dans le même but. Il arriva en août et Batman en septembre. Les deux hommes décidèrent que l’espace était suffisamment grand pour être divisé. John Batman opta pour un découpage en parcelles. La ville aura connu en quelques semaines de nombreux noms : Batmania, Bareport, Barehurp. Ce n’est qu’en 1837 que la ville se nomme Melbourne en l’honneur du Premier Ministre Britannique, Lord Melbourne.
Les premiers mois, les tentes et autres huttes s’agglutinaient sur le bord de la rivière Yarra et en l’espace de quelques années, la ville se structura et pris une ampleur jamais égalée. La cité est devenue le centre religieux de la colonie, le lieu de la spéculation foncière et un chantier à ciel ouvert.
Elle se structura également dans sa gouvernance : William Lonsdale, magistrat de police reconnu, gouverna la ville dès octobre 1839 et Charles LaTrobe, fervent défenseur de l’art et de la culture aura quant à lui le projet de faire de Melbourne, une véritable cité.
On lui connait des grands projets tels que Carlton Gardens, le parc de Flagstaff et les Royal Botanical Gardens. Réserver des espaces verts au cœur de Melbourne était pour lui une priorité.
La ruée vers l’or (1850 – 1905)
Il faut attendre les années 1850 pour voir une explosion démographique. Des chercheurs d’or de tout le continent et du monde viennent à Melbourne pour y faire fortune. Les constructions vont bon train pour accueillir ces différentes vagues migratoires. C’est également à la même époque que la ville obtient le statut de ville par lettre patente de la reine Victoria (1847) et que le Victoria devient une colonie séparée et administrée par LaTrobe (1851). Il aura fallu une quinzaine d’années pour bâtir une ville entière et voir sa population passer de quelques centaines de colons à plus de 400 000 en 1857. On estimait alors à 75 000 nouveaux habitants chaque année.

La ruée vers l’argent
Cette explosion démographique a vite eu un effet d’appauvrissement des ressources en or dans la région. Il a fallu très rapidement répondre à la crise sociale causée par ces mines d’or vidées : une réforme agraire a été mise en place à la fin des années 1850 pour ouvrir les terres aux petits fermiers de la région. Ces décisions nécessaires ont engendré un boom économique gigantesque pendant plus de 40 ans, on appelait alors la ville : Marvellous Melbourne.

La ville devint la deuxième plus grosse ville de la couronne d’Angleterre, après Londres. L’étalement urbain s’accéléra : South Yarra, Toorak, Malvern… et la construction de grands bâtiments publics dût être entreprise : hôpitaux, universités, églises, écoles, bibliothèque et galeries d’art. C’est à partir de ces années que les principaux monuments de Melbourne furent fonder : les Cathédrales de St Patrick (1858) et St Paul (1880) en sont les exemples frappants.
Durant ces années de boom économique, l’État du Victoria n’arrivait pas à combler le manque de main d’œuvre malgré une accélération démographique importante. La raréfaction des petites mains a engendré une hausse significative des salaires. On dit que l’État du Victoria proposait les salaires les plus élevés au monde. Le monde du travail a très rapidement été régi par l’organisation syndicale qui obtint des garanties pour les travailleurs : la semaine de 8h signée en 1856 par le syndicat des maçons.
De la ruée à la rue
Toute cette richesse en a fait tourner des têtes. C’est à partir de 1880 que le boom des terres propulsa l’inflation des terrains agricoles et une spéculation dangereuse. La corruption des élites économiques et politiques causa un krach économique en 1890 : la ville de Melbourne connaîtra l’une de ses pires crises économiques. De nombreuses banques et entreprises durent mettre la clé sous la porte, le chômage explosa à plus de 20 % et l’explosion démographique cessa. Le nombre d’habitants à Melbourne n’aura pas bougé en 1890 et 1905, signe de la mauvaise santé économique de la ville.
Cette récession économique durera jusqu’en 1920 et aura un effet dévastateur sur les classes ouvrières. Des bidonvilles s’organisèrent au nord de la ville : Fitzroy et Collingwood en sont les dramatiques exemples.
Capitale de l’Australie (1905 – 1927)
Comprendre Melbourne, c’est aussi comprendre son statut. La ville a été capitale du Victoria dès sa fondation en 1851 et adopta une Constitution en 1856. C’est également à Melbourne que tout se passe pour la Fédération des colonies, car Melbourne est le cœur du gouvernement du Commonwealth quand les six colonies se fédérèrent en 1901.

Longtemps joyau de la couronne, très souvent louée pour ses vertus et ses richesses (culturelles, économiques, démographiques), la ville en proie à une terrible crise économique se voit piquer le statut de première ville d’Australie dès 1905. Depuis, le statut de capitale se dispute entre Melbourne et Sydney et ce n’est qu’en 1927 que l’Australie tranchera : Canberra devient la capitale ! Cette guéguerre est toujours d’actualité car les deux villes continuent cette compétition de la meilleure ville d’Australie.
Un come-back mérité (1945 – 1989)
Il aura fallu plusieurs décennies à la ville de Melbourne pour revenir sur le devant de la scène : un krach monstrueux en 1890, des pertes colossales lors de la Première Guerre Mondiale, une grippe espagnole féroce et un krach boursier de 1929.
Après la Seconde Guerre Mondiale, la ville repris des couleurs grâce à une augmentation du prix de la laine, des vagues migratoires venants de l’Europe Centrale et de l’Est puis du Moyen-Orient et de la Chine.
Le Melting Pot de Melbourne
De nombreux juifs d’Europe ont par exemple choisi la ville de Melbourne pour s’établir après avoir connu les pires exactions lors de la Seconde Guerre Mondiale. Ainsi, Melbourne a l’une des plus importantes populations juives d’Australie : 1.4 % de sa population en 1970.
Les italiens, grecs, hollandais puis yougoslaves, turcs et libanais vinrent après les années 1960. C’est en 1970 que l’on voit la fin de l’Australie blanche et de nombreuses populations débarquèrent en Australie : les vietnamiens, les chinois et les cambodgiens. Les musulmans firent également leurs entrées dans les statistiques démographiques. La ville devint un foyer de multiculturalisme avec une politique encourageant les pratiques culturelles et cultuelles.
C’est ce multiculturalisme qui fonda la nouvelle Melbourne, la ville reprit des couleurs et retrouva de sa superbe.
Une dernier krach pour la route ? (1989 – à nos jours)
C’est aussi ça la ville de Melbourne : un accroissement des richesses et une croissance effrénée puis une crise économique, une récession et un appauvrissement des classes ouvrières. Et rebelote.
En 1989, l’État connut une récession qui a provoqué le départ de ses populations vers d’autres États australien et la chute du gouvernement. L’arrivée des libéraux a opéré une mutation profonde des considérations économiques : le gouvernement s’est attelé à restaurer les comptes en opérant des coupes franches des dépenses publiques. Privatisation des trams, fermetures d’écoles, réduction de la taille des effectifs du service public, ces réformes nécessaires ont été acceptées par la population de l’État quand bien même le bilan social fut lourd.
Des grands chantiers furent entrepris : le Casino The Crown, l’Exhibition & Convention Centre et le nouveau Museum de Melbourne. Longtemps boudé, le CBD – le cœur économique de Melbourne – retrouva des couleurs à la fin des années 1990. Il connut une hausse de ses habitants, de nombreux espaces publics furent bâtis – Federation Square, la gare de Southern Cross et le développement du nouveau quartier de Southbank.
Une nouvelle période de croissance avant une nouvelle crise ?
4 commentaires sur “L’Histoire de la ville de Melbourne”