Impossible d’évoquer Melbourne sans écrire un article sur le street art. C’est une véritable institution ici. Des quartiers entiers sont dédiés à la réalisation d’œuvres titanesques. Des artistes urbains de Melbourne et du monde se succèdent dans la capitale du Victoria. Comprendre comment s’est organisé le street art à Melbourne, c’est un peu s’imprégner de son identité, de ses revendications et de son esprit libre.
Histoire d’un art urbain
Le street art de Melbourne remonterait au début des années 70s, au même moment où les artistes de rues new-yorkais commençaient leurs graffs. Cette influence américaine s’est d’abord cantonnée aux portes des toilettes des pubs. Des revendications politiques, des messages contestataires, quelques petits mots taillés dans le bois d’une porte. Il faut attendre la fin des années 70 et le début 80 pour voir une émergence fulgurante de ce mouvement. Les mots ont laissé la place aux dessins, au graffitis et aux formes esthétiques diverses. Les plus grands noms ont arpentés les ruelles étroites de Melbourne, Keith Harring par exemple y a inauguré le mur qui porte son nom aujourd’hui en 1984.
Des dessins réservés à un public averti étaient visibles le long des chemins de fer ou des tunnels. Une vie underground dans le Down under. La pratique du graffiti continuera jusque dans les années 1990, abandonnée au profit du pochoir.
Structuration d’un phénomène
On assiste à la professionnalisation du phénomène à partir de la fin des années 1990. A cette époque, les artistes ont développé de nombreuses techniques : le framing, le woodblocking, le sticker, la peinture murale, le pochoir … La ville a commencé petit à petit à accueillir des artistes urbains pour le développement de fresques colorées. Si le graffiti est interdit par la loi, certaines ruelles échappent aux interdictions et sont le lieu de rencontres artistiques.
La municipalité de Melbourne a donc opéré un découpage géographique des zones qu’elle voulait ou non adaptées pour l’épanouissement de cet art. Si la plupart des touristes connaissent la fameuse Hosier Lane, il faut également citer la Union Lane, Caledonian Lane, AC/DC Lane, Desgraves Lane, des ruelles situées au centre du CBD. N’oublions pas non plus les quartiers de Fitzroy, Collingwood, Brunswick et même Saint-Kilda. Il est tout à fait possible de se perdre dans les ruelles de ces quartiers situées à l’extérieur de la ville pour découvrir les œuvres.
La monétisation de l’art urbain
Longtemps ignoré, souvent critiqué, le street art fait aujourd’hui parti de l’identité même de Melbourne. Une identité revendiquée par les organismes municipaux et institutionnels, Visit Melbourne, l’office de tourisme local fait du street art un fer de lance des attractions touristiques de la ville. La ville est allée jusqu’à commander des œuvres à certains artistes urbains. La représentation artistique permet à la ville de profiter des avantages financiers de la venue des millions de touristes annuels.
La commande d’œuvres d’art permet à nos petits street artists de pouvoir vivre de leur art, et surtout leur offrir une visibilité sur la scène artistique mondiale. L’expansion du phénomène urbain attire aussi une foultitude d’artistes internationaux : NTB, Invader, Seth pour les petits Frenchies, le plus célèbre des anglais, Bansky, les américains ABOVE et Shepard Fairey…
Balade artistique
Il nous semble à présent important de vous donner les principales œuvres ou artistes qui ont sublimé les ruelles de Melbourne. Cette liste n’est pas exhaustive car la richesse artistique est sans borne dans la capitale du Victoria.
CBD
Hosier Lane
La lane la plus connue de Melbourne. Tous les jours des milliers de touristes viennent arpenter ce pâté de maison. Des graffeurs y travaillent chaque jour. Une odeur chimique enveloppe en permanence la ruelle. Des cagettes de bouteilles sont toujours éparpillées dans les lanes de street art, c’est la chaise de bureau des artistes. Nous ne sommes pas les plus grands fans de cette rue car nous ne trouvons pas le travail très élaboré. Certes, c’est coloré et assez impressionnant mais nous avons plus la sensation d’une superposition de graffs.
L’œuvre de Adnate vient sublimer l’ensemble par une splendide peinture hyper réaliste. Cet artiste s’engage personnellement dans la réalisation de portrait d’aborigènes. Cet artiste a découvert une communauté indigène de Kimberley (Australie Occidentale) et s’amuse à peindre les portraits d’enfants aborigènes à travers le monde. Son but principale est d’ouvrir les consciences à propos des problèmes rencontrées par les communautés aborigènes.
AC/DC Lane
La ruelle située à quelques minutes de marche de la Hosier Lane a été rebaptisée en hommage au groupe de musique en 2004. Une gigantesque fresque peinte par Makatron domine l’ensemble de la ruelle. Pour la petite histoire, Makatron a sollicité les parents australiens à travers une campagne sur les réseaux sociaux invitant ces derniers à lui faire parvenir les plus belles œuvres de leurs chérubins. Il s’est appliqué à retranscrire les dessins de ces enfants. Au fond de la ruelle se font face deux représentations graphiques belles et forte de symbole.
La première, située sur le mur à gauche, est signée par Steen Jones. Cette fresque ressemblant à un tatouage est un hommage à la ville d’adoption de l’artiste Steen Jones. Ce dernier se décrit comme un « artiste, aventurier, rêveur et un gagnant« .
En face, nous observons l’œuvre de Fintan Magee qui traite des réfugiés et de leur déracinement. Cette thématique – de l’immigration et des réfugiés – est traité au-delà des frontières de l’art et est une véritable problématique sociale et politique. Beaucoup d’églises réclament un accueil massif des réfugiés contrairement à une politique frileuse et qui envoient ses réfugiés sur l’île de Manus.
PESGRAVE PLACE
Cette petite ruelle cachée est l’un de nos endroits préférés. Assez confidentiel (du moins beaucoup plus intime que Hosier Lane), la ruelle est connue pour sa technique de framing. Le framing c’est tout simplement un encadrement d’œuvres. Un mur avec quelques dizaines de cadres et des peintures, des collages, des miniatures… Tout est fait pour avoir un aperçu varié du street-art de Melbourne en une ruelle.
Si vous êtes chanceux – et on espère que vous l’êtes – vous pourrez admirer les œuvres de Tinky Sonntag. Son travail se concentre sur l’installation scénique de miniatures dans des hauts lieux de Melbourne. Ses figurines forment une scénette où l’artiste joue sur les dimensions. Par exemple, nous avons pu constater son œuvre à travers des personnages assis sur un épi de maïs. Ses installations sont malheureusement souvent endommagées (voire volées!)
Sur le grillage du côté droit de la ruelle, vous aurez la possibilité d’admirer une nouvelle forme d’art urbain. Une tête animale représentée sur un grillage à partir de cordelettes rouges. L’artiste Sunfigo écume les ruelles de Melbourne et de sa région pour offrir des têtes de lion, de singes, de loups … Ils peuvent être sur grillage comme ils peuvent être peints. Nous vous laissons retrouver ces gueules d’animal sur les différents murs de la capitale.
Ne quittez pas Pesgrave sans aller au bout. Passez les quelques poubelles du fond et arrivez devant cette peinture d’un célèbre artiste français… Vous l’avez ? Ibrahim Maalouf par le street artist français NTB.
Et tant d’autres…
Qu’elles soient longues et étroites comme celle de Union Lane (reliant Bourke Street), ou colorée comme celle de Queen Street (à deux pas du marché du Victoria Market), nous ne pouvons que vous conseiller de découvrir par vous-même chaque ruelles dédiées au street-art. Chaque artiste possède son identité, ses codes, et sa technique. Très rapidement, vous pourrez reconnaître les portraits féminins de Rone ou les yeux des enfants aborigènes d’Adnate. Vous reconnaîtrez aussi ci et là les portraits détournés de personnalités françaises, Victor Hugo, Pétain etc… qui sont l’œuvre d’un artiste urbain français.
Fitzroy & Collingwood
Au nord de Melbourne, vous quitterez les buildings pour retrouver un peu plus de calme. Votre balade est plus aléatoire dans ces ruelles car chaque coin de rue possède un graff, une fresque, une peinture, un collage… Tout est une question d’attention. Quelques œuvres qui nous semblent importantes, cela étant dit !
Le Keith Harring Wall
L’artiste américain avait fait l’honneur d’une visite culturelle en Australie en 1984. De cette visite de trois semaines est née cette fresque murale. Ce mur accolé à l’ancienne Ecole d’Art de Collingwood est devenu au fil des années l’emblème de Collingwood. Il a été décidé en 2004 de l’ajouter au registre des biens immatériels de l’État du Victoria. Une longue réflexion a été menée quelques années plus tard pour la rénovation de ce mur. Antonio Rava s’est chargé de restaurer l’œuvre originale de Keith Harring en 2013 soit un peu moins de 30 ans après sa réalisation.
The Night Cat Fitzroy Wall
Ce chef d’œuvre colossal a été réalisé par les artistes de l’Everfresh Studio, un collectif rassemblant plusieurs grands noms du street art (Rone, Makatron, PROSTATE…). Cette pièce bicolore a été réalisée pour le bar Night Cat et est devenu bien naturellement l’emblème du quartier de Fitzroy, quartier hipster un brin bobo.
Le street art symbolise le dynamisme de Melbourne. Tout bouge, tout change. Nous pouvons aller à Hosier Lane toutes les deux semaines et nous découvrirons de nouvelles pièces artistiques. La ville vit à pleine allure, les boutiques et restaurants s’ouvrent sans discontinu, les tendances passent et évoluent.
Moi j’adore tout. Je ne retiens pas les noms, mais je suis très sensible à cet art urbain quand il est l’expression même d’un artiste et pas des commandes officielles qui encadrent. Aucun rapport alors avec la liberté revendiquée et à l’imagination collatérale. C’est vraiment très emballant. Autres très grands lieux: Philadelphie avec des circuits touristiques et bien sûr LA et Brooklyn. Voilà un tour du monde passionnant.
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