Il n’y a pas le moindre doute, nous sommes loin. Cette distance qu’on nous ressasse continuellement. Les fameux «Oh, l’Australie, que c’est loin», «non mais 24h de vol quoi ! », même les australiens parlent de leur pays comme du « Down Under » pour désigner le pays au coin d’une carte, et ces figures qui finalement rentrent inconsciemment et de manière collective dans l’esprit de chacun. Qui d’entre nous n’a pas concédé un jour que si l’Australie était plus proche, il se verrait bien y vivre ad vitam. Oui, le rythme de vie est plus sain, la qualité de vie n’a aucune comparaison avec la France et on y mange bien.
Et la langue française est riche d’expressions qualifiant les distances. Ainsi nos amis pourraient penser que « loin des yeux, loin du cœur » ou bien que « les absents ont toujours torts ». Existe-t-il donc une fatalité au départ ? Est-ce que nos relations sociales sont teintées d’une distanciation – volontaire ou non – lors de notre échappée ?
Les raisons de notre départ
Lors de notre départ pour l’Australie, nous souhaitions fuir en effet. Paris ne nous convenait plus, son mode de vie, sa surpopulation, sa profonde injustice, sa violence – physique mais aussi psychologique – plus rien ne nous faisait vibrer au sein d’une ville pourtant riche en histoire et en symbole. Nos emplois, et plus particulièrement le mien, nous lassaient. Nous cherchions à trouver un sens à notre vie, et nous avons osé chambouler notre quotidien. Combien de collègues amers, de voisins aigris, ou d’interlocuteurs frustrés existent en France ? Combien de personnes écrasées par un travail abrutissant, creux, vide, abject, dangereux, écrasant, amoral… se côtoient aujourd’hui ? Et j’étais le premier à me plaindre d’effectuer chaque jour des tâches répétitives qui ne faisaient pas appel à une quelconque réflexion mais plutôt à une capacité de saisie. Mais malheureusement en France, le système est tel qu’il ne permet pas aux désireux la moindre chance et tente de masquer cette inégalité par des politiques de reconversion chancelantes. Le seul moyen de reprendre notre vie en main a donc été la fuite. Le départ à l’étranger, là où peut-être l’herbe serait plus verte… Le choix n’ a pas été le plus simple mais s’imposait avec évidence.
Pouvoir fuir
Nous nous estimons chanceux d’avoir pu pouvoir partir, nous n’avions en France aucune attache, si ce n’est affective. Pas de crédit, pas d’appartement, pas d’enfants et un âge qui permettait cette fuite. Nous nous sentons également privilégiés car nous avions les moyens requis pas les autorités australiennes pour entrer sur le sol. Il n’a fallu qu’une dose de courage. Une simple dose. Pas la plus facile mais sans doute la plus efficace. Nous admirons le parcours de notre couple d’amis, Adrian et Coline, qui avaient osé quelques mois plus tôt, effectuer le même parcours. Tout quitter, tout risquer. Démissionner, déménager et partir pour l’Amérique du sud. Entreprendre cette réflexion profonde et sensée qui leur a permis de concevoir leur futur d’une manière positive et – on peut le dire – non-conventionnelle, lui avec pour ambition de devenir instructeur de plongée en apnée et elle commençant une formation de yoga. Finalement, les modèles que nous adoptons ne sont pas nécessairement des figures publiques mais des simples individus qui ont osé. Nos Simone de Beauvoir du bonheur, nos architectes du courage et d’autres artisans du dépassement de soi.
Maintenir le lien
Et quand bien même nous nous épanouissons sur place depuis notre arrivée, et avons eu des coups de chance monumentaux, l’expatriation porte en elle également une certaine solitude. Elle est là, cette fameuse distance, celle qui te fait passer d’un ami physique a une conversation Whatsapp. Quand elle a lieu. Et pourtant, nous continuons à nous battre pour maintenir ce lien qui nous retient à la France. Nous prenons constamment des nouvelles de nos proches, nous rédigeons aussi de belles cartes postales pour certains, et contactons régulièrement les uns et les autres. Donnerions-nous raison à Schopenhauer quand il s’exclamait : « L’éloignement et la longue absence nuisent à toute amitié ». Nous nous y refusons mais malheureusement nous devons avouer qu’il n’a pas tout à fait tort. Il n’y a de distance physique que celle décidée voire imposée par les individus. Peu importe les fuseaux horaires, les vies et les différents obstacles, nous nous refusons à perdre le contact. Donc nous luttons. Nous continuons de découvrir les nouveautés françaises, à écouter en boucle Juliette Armanet ou l’Impératrice, nous avons pleuré au cinéma sur le tendre et si poétique Visages Village, documentaire réalisé par Agnès Varda et l’artiste JR, nous lisons chaque jour la presse française et maintenons un lien vers les différents programmes, émissions, radios, podcasts…
La perception d’une vie rêvée
Une amie nous évoquait son retour quelques jours pour des vacances et ce décalage entre ses amies et elle. Comme si les trajectoires de vie divergentes se justifiaient par cette notion de distance. Il existe également une perception erronée de la personne qui vivra à l’étranger. Ce héros des temps modernes, qui sera les pieds dans l’eau ou sous les tropiques ne connaîtrait ni souci, ni contrariétés. Combien de fois entendons-nous ces fameux « Oh tu sais, chez nous rien de spé, la routine ». Pourtant, nous tendons tous vers une routine rassurante, que l’on soit à Paris, Rennes ou Melbourne. Dans notre cas, nous travaillons 60 heures par semaine, avons un œil sur nos mails en permanence et avons des responsabilités et une exigence personnelle qui peuvent être lourdes à porter parfois. Nos seuls moments de liberté et de repos, nous profitons pour découvrir, manger, voir, et expérimenter la ville et sa région. Chose que nous ne faisions pas à Paris, ou du moins à petite dose. Vivre et travailler à l’étranger n’a rien d’idyllique, il suffit simplement de cueillir le bon moment, le beau coucher de soleil ou simplement entreprendre une lecture de quelques mots sur le quai d’une gare. C’est simple et c’est à la portée de chacun, il suffit juste de prendre le temps.
Et pour quels retours?
De plus en plus de Français osent témoigner sur leur retour d’expatriation. S’exprimant d’abord sur le décalage ressenti par des personnes ayant travaillées dans un environnement multiculturel, qu’il soit à New-York, Kuala Lumpur ou Melbourne. Oui, le décalage existe. Oui l’hypocrisie persiste dans un monde professionnel globalisé qui exige de sa masse une expérience à l’étranger et qui au retour pointera du doigt ce fameux trou dans le CV.
Oui, il sera difficile de revenir en France et de franchir les échelons administratifs qui ne font rien pour faciliter le retour en mère patrie. L’absence d’interlocuteurs institutionnels ou associatifs, en tout cas, l’extrême pauvreté des organisations actuelles, montrent qu’il existe une difficulté d’acceptation de ces Français globalisés. Plus vraiment Français, pas vraiment globalisé, ils seront confrontés à un choc psychologique. Certains témoignages évoquent la « deuxième expatriation » lors de leur retour en France.
Et puis quelle image faut-il donner à ces Français partis à l’étranger pour travailler (expatriation ou non) ? La situation dépeinte par nos proches nous font comprendre que nous avions pris la bonne décision car ce sont les fameux « c’est de pire en pire« . Mais à plus large échelle, cette fuite des cerveaux qui touche plus de 1.82 millions de Français travaillant dans le monde ne cesse de progresser. Les enquêtes ont prouvé maintes et maintes fois que l’expatrié aura à cœur de rentrer en France à un moment donné de son expérience internationale pour y fonder sa famille, jouir d’un système de santé, d’éducation équitables et d’une qualité de vie agréable. Il n’y a donc pas que du négatif en France!
Quelle belle analyse! Avoir vécu, seulement quelques semaines à l’étranger, donne un aperçu de ce que tu écris si bien. Et encore, aujourd’hui la technologie permet de voir, d’entendre mieux ceux que l’on chérit. Être loin, c’est aussi se rendre compte que l’on aime chausser ses pantoufles françaises, même si elles sont râpées, usées jusqu’à la corde. Au début des Tontons flingueurs, le Mexicain dit explicitement qu’il est revenu en France pour y mourir, ne voulant pas laisser ses os au Mexique. Sous le rire, se cache cette grande vérité: on garde toujours, collée aux semelles la terre de son pays, même si les violons de la mondialisation veulent nous faire croire le contraire. Les us et les coutumes, la culture, l’air et les molécules que l’on respire, sont ancrés dans nos cellules, quels que les rapports orageux qui nous unissent à notre sol.
J’aimeJ’aime