Habiter à l’étranger n’est peut-être pas la chose la plus simple, elle fait naître en nous des sentiments que nous ne connaissions pas auparavant, celui du manque profond du pays natal (vous savez celui de pouvoir rouler sur une route de campagne avec au loin des clochers et des maisons en petites pierres ou bien de rentrer dans une boulangerie aux vapeurs enivrantes au petit matin?) mais aussi celui de la solitude de l’étranger (que nous avions déjà évoqué récemment dans notre précédent article). Toutefois, évoluer en terra incognita devient très rapidement une drogue. Une dose de liberté et de révélation de soi. Cette bouffée d’oxygène s’accompagne malheureusement de contraintes, de désillusions voire de déceptions!
L’Altérité, ce rapport à l’Autre
Ce bien grand mot d’Altérité dont nous avons pu saisir chacune des spécificités pendant nos études de tourisme à Angers. Qu’est-ce que le tourisme si ce n’est la confrontation à l’Autre? Voyager c’est se confronter aux milieux étrangers et aux populations qui les habitent. Et dans un schéma purement logique, nous nous comparons. Comme disait Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754 – 1838) :
» Quand je me regarde, je me désole. Quand je me compare, je me console. «
C’est évident qu’il faut savoir dépasser nos pâles considérations ethnocentrées, celles des polémiques en continu sur le bus des bleus qui aurait détalé à toute vitesse sur ordre royal de la cour Macron, la querelle des rappeurs dans un aéroport parisien, et au-delà, adoucir cet esprit de tout critiquer, de tout attaquer et de tout contredire. On se désole pour un rien en France, et cet esprit de révolte finira rapidement à la poubelle des réseaux sociaux où la liberté d’expression à tout prix est prônée.
Lors de notre premier séjour à Taïwan, nous avions fait un premier pas dans ce monde vaste et inégal. On se disait alors que les Taïwanais n’avaient pas eu le bel esprit de la Révolution Française, celui de remettre en question l’ordre établi. Et pourtant, ces dernières années, ce peuple a su se mobiliser et manifester pour retrouver la parole. Cela a précipité notamment la chute du président Ma Yingjiu, qui laissa sa place en 2016 à Cai Yingwen, adhérente du parti indépendantiste. Rien n’est immuable, c’est juste une question de timing.
D’humains à humains
Alors oui, on se compare et on se console mais parfois on se désole de la comparaison. Qui aurait cru que faire des affaires avec les Australiens aurait pu être aussi compliqué? Nous sommes là confrontés à une barrière culturelle (voire sociologique) très forte, celle du comportement des individus. Les Australiens ont par exemple cette fâcheuse manie de préférer l’évitement et l’hypocrisie plutôt que la franchise et la confrontation. Il faudra donc s’attendre à des déceptions futures. Jamais de négation clairement énoncée, quand on entend une quelconque hésitation, il faudra considérer leur réponse floue comme une fin de non recevoir. On évitera le conflit et on préférera la fuite. C’est ainsi que bon nombre de nos rendez-vous se terminent très régulièrement par un « lapin à l’australienne » : une inaction suivie d’une technique qui consiste à faire le mort. Héritage anglais nous a-t’on dit. Autre caractéristique culturelle à prendre en compte quand on décide d’interagir avec les Australiens, cette indispensable nécessité d’être diplomate pour ne pas froisser. Cela doit très probablement venir de leur éducation car en Australie, on mise sur la responsabilisation de l’enfant. Les parents et le système éducatif n’interdiront pas, ne diront pas « non » et laisseront l’enfant analyser ses propres actes. Dans les faits, pourquoi pas, c’est plutôt louable. Mais finalement, on se retrouve dans un espace public avec des enfants agissant comme bon leur semble. Comme nous disait une maman australienne :
« Je ne lui dirai pas non si il prend un couteau tranchant, je lui dirai simplement : « Attention, ce couteau est drôlement pointu », ni même s’il grimpe à un arbre, je lui demanderai d’analyser la hauteur et le potentiel danger ».
Du coup, débarquer avec son franc-parler, son côté directif, voire son pessimisme (oui, en France on voit plutôt ce qui est améliorer plutôt que ce qui est bien réalisé, non?) et c’est l’assurance d’un cocktail possiblement explosif.
L’humain peut être donc une source de souci dans notre expatriation, mais ce souci ne serait-il pas tout simplement la confrontation avec notre humanité? Konbini le résume très bien dans son article sur les tabous de l’expatriation:
« On est perdus dans un océan culturel nouveau, fascinant, attirant et déstabilisant. Et on est aussi perdus en nous-mêmes, constatant que nos frontières identitaires sont plus poreuses que l’on pensait. »
Or n’oublions pas que l’intrus hors norme à l’étranger, c’est nous! Tout ce qu’on a pu incorporer (Pierre Bourdieu, viens à moi!) est à archiver. Les acquis sont à ranger dans un coin propre et hermétique, et nous réapprenons tout. Le questionnement devient la norme. L’article de Konbini intitulé « Culpabilité, épuisement, solitude : les blessures taboues de la vie à l’étranger » continuait :
« La solitude culturelle, c’est comprendre que l’anomalie ici, c’est nous. Nos manières de faire, tout ce qui est pour nous confortable culturellement, n’est pas en vigueur dans notre environnement. Pas de repos possible. Pas de pause dans l’adaptation culturelle. »
Mais pour certains, cet exercice est accompli avec force et conviction. Nous avons toujours eu beaucoup d’admiration pour celles et ceux qui arrivaient à se dépouiller de leurs cultures, de leurs identités pour s’intégrer parfaitement dans un environnement étranger. Ceux qui peuvent vivre loin, entourés d’autochtones (vous saisissez l’idée et l’ironie n’est-ce pas?!) et y faire toute leur vie. Serait-ce les plus courageux, ceux qui ont tout compris?
Une addiction saine
Pourquoi partir comme nous avions pu nous le demander dans notre article Toujours Aussie Loin? Tout simplement par nécessité. Oui, le fait de partir est un pur fait égoïste voire égocentrique. On ne pense pas qu’il y ait de mal à penser à soi, bien au contraire. Combien de personnes nous entourent sans vivre leurs vies, empêtrées dans des considérations morales ou financières contraignantes? Partant du principe que rien n’est impossible et que tout mérite réflexion, oui les gens peuvent partir. Nous pouvons faire le tour du monde avec des enfants, par exemple, à condition d’évaluer les critères de sécurité, du maintien d’un minimum d’encadrement (scolaire, sanitaire…) et d’économies substantielles. Tout est une question de vouloir plutôt que de pouvoir. C’est un choix.
Partir une fois engendrera un mécanisme dont nous n’avons peu conscience lorsque nous prenons l’avion pour notre long exil. Celui d’une addiction saine. Nous ne nous sommes jamais autant senti à l’aise et en vie à l’étranger. Tout est plus simple, plus léger. Il y a des contraintes, mais celles-ci sont rapidement balayées par les découvertes, la nouveauté et l’apprentissage. Ce sentiment d’accomplissement, de bien-être, de bonheur nous donne envie de continuer l’aventure. Lorsque certains expatriés rentrent au pays, ils peuvent être frappés d’une chute de moral assez vertigineuse. Morosité, déprime ou dépression, l’expat’ est en manque de son shoot de liberté. Les podcasts, les articles et les associations aidant le retour des expatriés se multiplient pour soutenir et donner les clés à ceux qui reviennent pour tenter un retour plus serein.